Le discret jeu politique de l’Egypte : entre répression intérieure et diplomatie habile
Du 15 au 17 octobre, le président égyptien s’est rendu en Russie pour une visite officielle à l’occasion du 75e anniversaire de l’instauration des relations diplomatiques entre Le Caire et Moscou. Depuis son élection en 2014, le maréchal Sissi multiplie les alliances stratégiques en faisant fi des critiques qui sont faites à l’égard de sa politique intérieure répressive.
Alors que la lutte anti-terroriste se poursuit sous l’égide du président Sissi, la société civile égyptienne semble de plus en plus bridée. Le combat contre le groupe Etat Islamique fournit un alibi au président pour faire main basse sur l’opposition politique. Les dérives du régime sont parfois dénoncées dans la presse occidentale mais cela a peu d’impact sur la toute-puissance du maréchal. En effet, Sissi est parvenu à conserver ses alliés et à nouer de nouvelles alliances malgré les critiques. Son ambition pour l’Egypte est claire : peser sur les décisions régionales et apparaître comme un acteur incontournable. De fait, après la révolution de 2011 et les troubles qui ont suivis jusqu’en 2013, le pays devait se concentrer sur ses problèmes intérieurs. Ayant retrouvé sa stabilité, l’Egypte fait progressivement son retour sur la scène internationale.
Coopération avec l’Occident
Dans sa lutte contre le terrorisme, Sissi dispose du soutien des Etats-Unis, qui est un allié de taille. Débarrassé des reproches de Barack Obama, le maréchal entretient d’excellentes relations avec son successeur Donald Trump. Pour ce qui est de l’Europe, les chefs d’Etat dénoncent timidement les exactions égyptiennes mais n’entreprennent aucune action concrète. Ils préfèrent s’assurer cet allié dans le cadre d’opérations anti-terroristes. Entre 2013 et 2017, La France est même le plus gros exportateur d’armes vers l’Egypte, un partenariat qui incite à la complaisance. La vente récente de vingt-quatre avions Rafale ne laisse planer aucun doute sur la volonté d’accommodation avec le régime égyptien. La Russie est également un appui important de l’Egypte. Dès la réélection de Sissi en mars 2018, Poutine s’est empressé de le féliciter chaudement.
Habilité politique au Moyen-Orient
A l’échelle régionale, Le Caire entretient de très bons rapports avec Israël. Ils combattent ensemble la Wilayat Sinaï, la branche égyptienne de Daesh au Sinaï. Sissi peut également compter sur le soutien de l’Arabie Saoudite. Leur haine commune des Frères Musulmans les rapproche et le royaume saoudien est le premier soutien économique de l’Egypte. Ces alliances peuvent paraître surprenantes étant donné que pendant des décennies Israël était l’ennemi numéro un de Ryad. Cette affirmation n’est plus aussi vraie aujourd’hui et l’Egypte profite de ce dégel pour manœuvrer habilement dans sa diplomatie. Cependant, Sissi souhaite conserver l’indépendance de son pays et éviter l’écueil de l’assujettissement à Ryad. Ainsi, l’Egypte a signé des partenariats financiers avec les Emirats arabes unis, le Koweit ou la Chine. De plus, Le Caire s’octroie une certaine liberté de choix géostratégiques vis-à-vis de l’Arabie Saoudite. En Syrie notamment, l’Egypte soutient Assad aux côtés de son allié russe, allant à l’encontre de la position saoudienne. Ces zones grises dans l’amitié entre l’Egypte et l’Arabie Saoudite ne remettent pas en cause les relations très cordiales entre Sissi et le jeune prince héritier Mohammed ben Salman, pour qui l’aîné sert de modèle. En définitive, Sissi est parvenu à rassembler de larges soutiens au Moyen-Orient. Seules les relations avec la Turquie et le Qatar demeurent tendues en raison de leur soutien aux Frères Musulmans.
Engagement dans les conflits régionaux
Dans le conflit syrien, L’Egypte soutient le régime d’Assad face aux rebelles. En 2016, le général Ali Mamlouk, responsable des services de sécurité syriens, se rend au Caire pour une visite officielle qui ne passe pas inaperçue. Rapidement, les médias arabes réagissent et évoquent la présence (démentie par Le Caire) de « conseillers militaires égyptiens » et de pilotes aux côtés de l’armée syrienne. De façon plus officielle, l’Egypte, appuyée par la Russie, a joué un rôle actif dans les négociations sur les zones de désescalades. De même, Le Caire s’investit dans le conflit libyen, préoccupé par l’instabilité qui perturbe ses frontières (trafics d’armes, incursions de terroristes…). Ainsi, Sissi a été l’un des premiers, avec la Russie, à soutenir les forces de l’Est et le maréchal Haftar, afin d’aider à rétablir l’ordre en Lybie. Le Caire procure des armes à Haftar et mène ponctuellement des raids aériens sur le sol libyen avec, pour cible, des milices islamistes. L’Egypte prend également position dans le conflit israélo-palestinien. Grâce à l’action du maréchal Sissi, un cessez-le-feu a été signé en août 2014. Cette même année, l’Egypte a organisé au Caire une conférence internationale pour la Palestine et la reconstruction de Gaza. Toutefois, les relations entre le Hamas et Sissi ont parfois été conflictuelles. En effet, le Hamas était fortement lié à l’ancien président égyptien issu des Frères Musulmans, Mohamed Morsi. En représailles à ce soutien, le gouvernement de Sissi a bombardé massivement les positions du groupe et fermé le point de passage de Rafah. Le Hamas a fini par plier face à l’Egypte et les relations se sont réchauffés. Désormais, le point de passage ouvre plus régulièrement et des représentants du mouvement islamiste palestinien ont été reçus dans la capitale égyptienne.
Le président Sissi dirige le pays le plus puissant militairement et le plus peuplé du monde arabe. Il est parvenu à manœuvrer habilement au milieu des relations diplomatiques pour peser dans tous les conflits qui affectent l’Egypte. Il est devenu l’allié des pays occidentaux, balayant ainsi les critiques. La dictature du maréchal ne semble pas sur le point de s’adoucir.